Il sentait en lui l’envie de parler. Depuis qu’il était en prison, sa tête avait menacé d’exploser à plusieurs reprises. En fin de compte, il avait dû se l’avouer ; ce n’était plus une envie mais un besoin impérieux. Il fallait qu’il parle à quelqu’un, terrifié à l’idée que le silence puisse le rendre fou. Il fallait que quelqu’un sache. Quelqu’un qui n’allait rien faire, sinon entendre puis rejeter le mystère sur les épaules de Dieu. Mais face à cette jeunesse pâle et à ce sourire, le prisonnier ne trouvait plus ses mots, pas même un bonjour. Sa tête était vide – c’était la première fois depuis des jours, et cela lui donna le vertige.
Paul Bréguet, ancien inspecteur de la police lausannoise, est en détention préventive, accusé de meurtre. Il demande à parler à un représentant de l’Église œcuménique réformée du canton de vaud et se trouve face au Pasteur Manuel, à qui il commence à raconter son histoire pour tenter de comprendre. Une histoire qui débute avec la découverte, un 4 février, d’un jeune inconnu – nu, mal en point et inconscient – au bois de Sauvabelin. Bréguet, alors chargé de l’enquête, se laisse peu à peu emporter et perd toute maîtrise. Quand il raconte, dans l’aumônerie de la prison où il est incarcéré, la vérité est pourtant difficile à dire. Le pasteur se laisse lui aussi prendre et bouffer par l’histoire, pour finalement se retirer afin de se protéger des contradictions de son interlocuteur.
Il y a des livres qui, une fois commencés, vous obsèdent jusqu’à ce que toutes les pages aient été compulsées, lues et relues pour bien comprendre. Les Ombres du métis fait partie de ceux-là. Le lecteur se perd tout autant que le pasteur, même s’il en sait un peu plus, dans les révélations en désordre de l’ancien flic. Le fouillis de la mémoire se déploie, la dissimulation intentionnelle aussi. À travers les conversations, les ruminations et les flash-back, difficile parfois de savoir ce qui est vrai et ce qui est faux.
- La vérité… Et pourtant, pasteur, je sais qu’elle n’existe pas. Je le sais. Enfin si, elle existe, mais autrement, différente – vous comprenez ? J’ai couru après une chimère… et peut-être que j’ai tellement voulu la trouver que j’ai fini par la créer – Elle existe, en fait. Elle est là, devant mes yeux, depuis toujours. La vérité, c’est que je ne peux pas comprendre. Ni personne, d’ailleurs.
Entre erreurs, pulsions et devoir, ce polar a ceci d’original que le flic n’est pas un bon flic. On pourrait bien qualifier Paul Bréguet d’anti-héros. Il a des principes, mais est idéaliste, naïf, manipule et se laisse manipuler. Rien n’est blanc, rien n’est noir, tout est gris – morne – et les faux-semblants sont légion. Les mots baignent dans la grisaille, mais la plume est juste. On sent le talent de metteur en scène de Sébastien Meier, qui a également œuvré dans le monde du théâtre. Un bon livre à tiroir au style maîtrisé et incisif.
Sébastien Meier, Les Ombres du métis, Editions Zoé, 2014.
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