La plupart du temps je m’éveillais très tôt, à l’aube naissante. Pins et bouleaux émergeaient à peine d’un océan de brume dans lequel le train courait en aveugle, où flottaient quelques essaims d’isbas grises dont le bois usé par le gel et le brutal soleil d’été ressemblait à du papier mâché. Une lumière mate s’éclaircissait peu à peu, jusqu’à découvrir un ciel vertigineux que je poursuivais du regard et qui se réfugiait à l’horizon.
Anne se rend à Irkoutsk, retrouver Gyl, un amant perdu de vue. Dans le transsibérien qui la conduit à destination, puis après son arrivée, elle laisse le voyage la posséder toute entière et les rencontres, fugaces, lui font parfois forte impression, lui permettent de grandir. Le temps disparaît presque et son esprit vagabonde. La succession de paysages permet les réflexions, les questionnements, la rêverie. Dans les pensées d’Anne, revient sans cesse Clémence Barrot : leur histoire vient se caler entre les chapitres du voyage russe. Clémence est une vielle dame, ancienne modiste, qui vit à l’étage du dessous de l’appartement parisien d’Anne. Cette dernière vient lui faire la lecture et lui fait découvrir les destins de femmes d’exception : Marion du Faouët, Anne Conti, Hélène Bessette, Olympe de Gouges, ou encore – la préférée de Clémence – Milena Jesenská. La vieille dame, quant à elle, parle de son amour perdu et sort une vieille photo calée entre le siège et le dossier du canapé.
Michèle Lesbre a vraiment une écriture au côté poétique qui fait de la lecture un plaisir. Le canapé rouge est une ode à la vie, cette vie qui n’est rien d’autre qu’un voyage. Entre amour, amitié et la peur de la vieillesse, il n’y a pas d’âge pour changer, évoluer. Alors qu’Anne part pour retrouver Gyl, c’est elle-même qu’elle retrouve en chemin :
Penser à elle dans mon hôtel de transit me ravissait, j’avais très envie de la revoir, vite, de lui conter mon étrange voyage, sans doute le plus étrange de tous mes voyages, parce que plus que tous les autres il m’avait sans cesse ramenée à ma vie, à la simple vérité de ma vie.
En somme, Michèle Lesbre fait un parallèle entre le voyage et l’amitié, la complicité avec Clémence : certaines rencontres sont à elles seules un voyage et ce qui vous façonne est tout autant certaines escapades que certaines personnes qui traversent votre vie.
Anecdote : le livre est dédié « au petit monsieur de la station Gambetta ». Ce petit monsieur est celui au destin tragique dont elle s’inspirera quelques années plus tard pour le livre Écoute la pluie, dont nous vous avons offert un aperçu dans une ancienne critique.
Michèle Lesbre, Le canapé rouge, Sabine Westpieser éditeur, 2007.
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