La voiture, tirée par une solide jument à la longue crinière, s’arrêta devant le perron d’une vaste propriété de campagne. Le cheval remua vivement la queue, semblant saluer la lune qui se levait. Barbara Ivanovna et Marguerite entreprirent de décharger leurs affaires : le temps n’était plus où l’on se remettait à des serviteurs.
Barbara Ivanovna et sa fille, Marguerite, arrivent de Saint-Pétersbourg chez le docteur Byrdine, à douze verstes (ancienne mesure de longueur russe) de la gare de Khomout, après un long et éprouvant voyage. Elles fuient la révolution mise en branle par les bolcheviks et sont accueillies par le calme de la campagne. Cependant, l’orage ne tarde pas à poindre à l’horizon : Barbara Ivanovna meurt soudainement, laissant Marguerite seule au monde. Les temps sont difficiles et la défunte est, ainsi, enterrée dans le jardin de la pension du docteur. Initialement, la solution ne doit être que temporaire, mais les années passent avant que Marguerite ne finisse, presque par hasard, par revenir…
Peinture d’une société en changement, le livre – écrit en 1927 par l’auteur russe Nina Berberova – est bref ; on regrette presque que les pages se suivent si vite les unes après les autres. Une brièveté qui n’enlève pourtant rien à la force qui se dégage du récit. La situation précaire des êtres et des choses se révèle… Même la religion se perd, puisque Marguerite, à la fin du récit, ne sait même plus si elle doit se signer face aux tombes devant elle.
On lit entre les lignes la souffrance d’un abandon, même si par moments les larmes sèchent rapidement. Perdue et libérée à la fois, Marguerite se trouve face à une Russie en rupture. Alors que le pays se détache de son passé, Marguerite perd sa mère. L’évolution de la jeune femme, que nous retrouvons des années plus tard en mère à son tour, fatiguée de son enfant qui pleurniche, peut être mise en parallèle avec cette Russie – dont l’apostrophe vient clôturer le récit – en crise du début du vingtième siècle. Cette Russie qui a, avec les ans, perdu de sa superbe d’antan… sa religion et les codes de sa bonne société.
Le thème principal qui traverse le récit – il est là même quand Barbara Ivanovna est encore en vie – est la mort. Cette mort d’une femme qui peut être elle aussi mise en regard à celle, en quelque sorte, de la société russe de 1917. La réalité de cette mort est décrite sans pudeur, avec les détails crus du corps qui se vide.
En somme, on peut dire que le voyage dans lequel nous emporte Nina Berberova – et les mots choisis par sa traductrice, Cécile Térouanne – est loin d’être long et éprouvant, contrairement à celui des personnages au début du récit. L’auteur, habile et subtile, tout en simplicité, ne laisse pas indifférent et l’on ressort enrichi de cette courte lecture.
Nina Berberova, Les dames de Saint-Pétersbourg, traduit du russe par Cécile Térouanne (titre original : Baryni), Actes Sud, 1995 (1927).
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