Film ayant gagné le lion d’argent au festival de Venise, Les nuits blanches du facteur Alexeï Triapytsine a également été le film d’ouverture du Kino Festival des films de Russie et d’ailleurs. Le festival Kino, né d’une initiative de la réalisatrice suisse d’origine russe Elena Hazanov, fait découvrir au public suisse romand des films de Russie et de l’espace post-soviétique.
Le réalisateur, Andreï Kontchalovski, est connu pour ses travaux sur les campagnes russes et Les nuits blanches du facteur Alexeï Triapytsine suit le fil conducteur invisible de ce type de films et ne détonne pas avec ceux-ci. Le film agrémente même la panoplie des tableaux de la « gloubinka » de Kontchalovski. Ce film nous fait également entrevoir une facette particulière de la Russie.
Tourné dans un style post-documentaire avec des acteurs non-professionnels qui jouent leur propre rôle, le film raconte l’histoire d’un facteur devenu l’unique lien entre les habitants d’un petit village perdu dans les espaces russes et le reste du monde. Si certains spectateurs refuseront de croire que la Russie qu’ils voient est le pays qu’ils imaginent, de vastes parties du territoire de ce dernier sont remplis de ce type de régions. Les « gloubinka » en russe, sortes de régions forestières inexploitées, sont particulièrement présentes dans le nord de la Russie et, ces dernières étant habitées essentiellement par des personnes âgées, nous pouvons nous poser des questions sur leur avenir et sur celui de leurs habitants.
Alors que le film, contemplatif, n’offre pas de grande action au public, il s’y passe néanmoins quantité de choses, entre les lignes, entre les mots. Dans les silences et les regards se crée une émotion palpable qui rapproche ces personnes en marge de la société du public qui les observe et le film, de manière particulièrement subtile, provoque une réelle méditation sur le pays, la politique, les raisons de telles conditions de vie.
Si l’on peut ressentir une certaine réticence, à premier abord, à nous immiscer dans l’univers des héros du film, nous ressentons finalement une grande douleur face à la vie de ces personnes en marge de l’Etat. Délaissés, sans moyens financiers, sans travail, certains alcooliques, les habitants du village provoquent une réelle empathie. Cependant, s’ils peuvent nous paraître malheureux de par leur vie dénuée d’aisance monétaire et matérielle, nous pouvons nous demander s’ils sont aussi misérables que nous le pensons. Finalement, ils manquent certes d’argent, ils manquent certes de confort, mais ils sont unis, le programme télé qui rediffuse un film français – Un homme et une femme – devient un événement, ils voient la beauté des paysages et le facteur qui quitte le village, y revient dérangé par les bruits de la ville. Même si d’autres personnages quittent ces contrées, nous pouvons nous interroger ce qui se produirait si l’on sortait ces personnes de leur habitat. Auraient-ils tous envie d’y retourner plutôt que de rester en ville ? Ainsi, même si le spectateur souhaiterait de meilleures conditions de vie à ces habitants de la « gloubinka » russe, il constate, à travers la richesse intérieure des personnages, que l’âme d’une personne vit en son sein et non à l’extérieur de lui.
De plus, le film, avec brio, réussit à faire compatir, mais à faire rire aussi. Serait-ce du rire à travers les larmes ?
Andreï Kontchalovski. Les nuits blanches du facteur Alexeï Triapytsine. Production Center of Andreï Kontchalovski. 2014.
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