Nous vivons dans le temps – il nous tient et nous façonne –, mais je n’ai jamais eu l’impression de bien le comprendre. Et je ne parle pas de théories selon lesquelles il pourrait se replier en boucle, ou exister ailleurs dans des versions parallèles. Non, je pense au temps ordinaire, quotidien, celui dont les horloges et les montres nous assurent qu’il s’écoule d’une façon régulière : tic-tac, tic-tac. Quoi de plus logique qu’une aiguille des secondes ? Et pourtant, il suffit du moindre plaisir ou de la moindre peine pour nous faire prendre conscience de la malléabilité du temps. Certaines émotions l’accélèrent, d’autres le ralentissent ; parfois, il semble disparaître – jusqu’à l’instant fatal où il disparaît vraiment, pour ne jamais revenir.
Tony Webster, le narrateur, a été au lycée avec Colin et Alex. Adrian, un garçon particulier et très intelligent, se joint à leur groupe. Après l’école, les relations entre les jeunes gens commencent à se transformer, par la volonté du temps. Tony rencontre Veronica à l’université et commence à la fréquenter, sans toutefois qu’elle le laisse « aller jusqu’au bout ». Il la présente à ses trois amis, mais leur couple finit par se déliter et leur relation se termine. Peu de temps après, il reçoit une lettre d’Adrian, l’informant que lui et Veronica sont désormais ensemble. Tony répond. La vie suit son cours. Il part pour un voyage aux États-Unis et apprend, à son retour, qu’Adrian a mis fin à ses jours… Pourquoi ?
Quarante ans plus tard, Tony est désormais un sexagénaire à la retraite, divorcé et grand-père, qui n’a pas de profonds liens avec sa fille, mais continue de manger certains midis avec son ex-femme, Margareth. Un jour, il apprend la mort de la mère de Veronica, rencontrée lors d’un unique week-end ; cette dernière lui fait un étrange leg… Le passé ressurgit alors et Tony reprend (difficilement) contact avec Veronica. Tout ne semble pas s’être déroulé comme il voulait bien s’en souvenir…
Le livre est découpé en deux grandes parties, exemptes de chapitres. La première constitue le récit, c’est-à-dire l’histoire du Tony-personnage (jeune) racontée par le Tony-narrateur (âgé), qui raconte des faits qui sont éloignés de son propre présent. La seconde est constituée de ce qui représente le présent, l’histoire rejoignant dès lors le personnage dans son temps de la narration. Le coup de maître de la forme de ce roman réside dans le fait que l’on réalise que tout ce qui a été dit dans la première partie n’est pas forcément digne de confiance. La nature de la réponse envoyée par Tony étant le point névralgique de la question.
Le Tony-narrateur de la première partie raconte et se met en scène selon ce dont il se souvient… et les souvenirs sont subjectifs… parfois erronés ou déformés par le passage du temps sur la mémoire. Le livre met en exergue le fait que l’on se souvient parfois de ce que l’on veut bien se souvenir, mais pas forcément de la vérité dans son sens strict.
Une autre question abordée dans ce roman est celle de l’impact que l’on peut avoir sur la vie des gens. Quelque chose que notre mémoire peut déformer, va pourtant pouvoir avoir des conséquences irréversibles sur l’existence d’autres personnes.
La fin reste ouverte et la réflexion continue, même une fois les pages refermées. C’est un livre qui ne peut pas laisser indifférent qui décide de s’y plonger et de réfléchir à ce qu’il met en lumière.
Julian Barnes, Une fille, qui danse (The sense of an ending, 2011), traduction de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, 2013.
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