Je suis Esclarmonde, la sacrifiée, la colombe, la chair offerte à Dieu, sa part.
1187. Esclarmonde est une jeune fille de quinze ans, adorée par son père, seigneur du domaine des Murmures, qui tend naturellement vers la vie religieuse. Le jour de ses noces, elle ose se dresser contre le choix qu’on a fait pour elle : elle dit « non » et se coupe une oreille en signe de protestation. Suite à cela, elle demande à être offerte à Dieu : on l’emmurera dans une cellule attenant à une chapelle construite sous sa direction dédiée à sainte Agnès. Ainsi, pendant deux ans, elle suit la construction de sa chapelle et se réjouit de mourir au monde. Cependant, la veille de sa réclusion, elle est victime d’un viol… qu’elle tait. Elle ne réalise que plus tard que son ventre se met à gonfler…
Roman poignant, bouleversant, Du domaine des Murmures est le récit d’une jeune femme qui se dresse contre la volonté des autres, allant à l’encontre de son temps, ayant soif d’une liberté qu’elle espère au départ trouver dans la réclusion. L’expérience inattendue de la maternité change son regard sur le monde, sur la vie, sur ses choix… Elle va vivre l’adoration pour son petit Elzéar, puis le déchirement d’en être séparée quand il est trop grand pour passer entre les barreaux de sa petite cellule. Témoin de son temps, pleine de compassion et d’écoute pour les pèlerins qui viennent la voir, Esclarmonde en est également une victime. Élevée en sainte, elle devient prophétesse ; entre le monde des morts et des vivants, elle guide les âmes perdues qui viennent la trouver, tout en s’occupant de ses tourments personnels. Et malgré les murs de sa cellule, la recluse voyage… à travers ses visions et les voyageurs qui passent par sa chapelle.
Quelle merveille pour l’emmurée que de s’imaginer sillonnant un si vaste univers ! Quelle ivresse ce doit être de marcher ainsi simplement sans rien pour arrêter l’œil, et de sentir la terre battre sous ses talons, et de respirer l’haleine du monde à pleins poumons !
L’écriture de Carole Martinez est teintée d’une poésie que l’on savoure volontiers. Fiction et Histoire sont maniées et modelées à la perfection pour faire naître une légende. Sortant de l’imaginaire, certains personnages ont réellement existé, comme Amey de Montfaucon, Berthe et Amaury de Joux. Les thèmes abordés sont multiples : foi, doute, changement, condition féminine, obscurantisme religieux, croisades, cruauté des hommes… Les murmures d’Esclarmonde nous emportent vers un autre temps, où fabuleux et mysticisme ne sont pas mis de côté ; on se laisse emporter par ses mots. Et ce n’est pas uniquement son destin que l’on découvre, mais celui d’autres femmes qui l’ont côtoyée : Ivette, sa servante, Douce, sa jeune belle-mère… Des destins de femmes entremêlés.
Un livre qui nous ensorcelle et les murmures d’Esclarmonde continueront de résonner aux oreilles du lecteur bien après la dernière page tournée.
Carole Martinez, Du domaine des Murmures, Gallimard, 2011.
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